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7 décembre 2011 3 07 /12 /décembre /2011 09:42

  XIV.  DE L'ÉDIFICE ET DE L'HARMONIE DES VERTUS DE L'ÂME

L'Écriture dit de ces sages-femmes qui laissaient vivre les enfants mâles des Israélites : « Par leur crainte de Dieu, elles se firent des maisons » (cf. Ex. 1, 2l). S'agit-il de maisons matérielles ? Mais comment pourrait-on dire qu'elles bâtirent de telles maisons par la crainte de Dieu, alors qu'on nous apprend au contraire qu'il est avantageux d'abandonner, par crainte de Dieu, même celles que nous possédons (cf. Matth. 19, 29) ? Il ne s'agit donc pas d'une maison matérielle, mais de la maison de l'âme, que l'on se bâtit par l'observance des commandements de Dieu. Par cette parole, l'Écriture nous enseigne que la crainte de Dieu dispose l'âme à garder les commandements, et que par eux s'édifie la maison de l'âme. Veillons donc sur nous, frères. Ayons nous aussi la crainte de Dieu, et bâtissons-nous des maisons, pour y trouver abri durant la mauvaise saison, en cas de pluie, d'éclairs et de tonnerre, car la mauvaise saison est une grande misère pour qui n'a pas de logis.
Mais comment s'édifie la maison de l'âme ? Nous pouvons l'apprendre avec exactitude d'après la maison matérielle. Qui veut bâtir celle-ci doit l'assurer de toutes parts, il doit l'élever sur ses quatre côtés et non pas s'occuper d'une seule partie, en négligeant les autres ; autrement, il n'arriverait à rien, mais perdrait sa peine, et toutes ses dépenses seraient vaines. Ainsi en est-il pour l'âme. L'homme ne doit négliger aucun élément de son édifice, mais le faire monter d'une manière égale et harmonieuse. C'est ce que dit l'abbé Jean : « Je désire que l'homme prenne un peu de chaque vertu, et ne fasse pas comme certains qui s'attachent à une seule vertu, s'y cantonnent et n'exercent que celle-là, en négligeant les autres. » Ils ont peut-être une supériorité dans cette vertu et, par suite, ne sont pas gênés par la passion contraire. Les autres passions cependant les abusent et les oppriment, mais ils n'en ont pas souci et s'imaginent avoir quelque chose de grand. Ils ressemblent à un homme qui construirait un mur unique et relèverait aussi haut que possible, et qui, considérant sa hauteur, penserait avoir fait quelque chose de grand, sans savoir que le premier coup de vent le jettera par terre. Car il se dresse seul, sans avoir l'appui des autres murs. On ne peut d'ailleurs se faire un abri d'un seul mur, car on serait à découvert de tous les autres côtés. Il ne faut donc pas agir de la sorte, mais qui veut bâtir sa maison pour s'y abriter, doit la construire de chaque côté et l'assurer de toutes parts.
Voici comment : il doit d'abord poser le fondement, qui est la foi. Car « sans la foi, dit l'Apôtre, il est impossible de plaire à Dieu » (Hébr. 11,6). Puis, sur ce fondement, il doit bâtir un édifice bien proportionné. A-t-il l'occasion d'obéir ? Qu'il pose une pierre d'obéissance ! Un frère vient-il à s'irriter contre lui ? Qu'il pose une pierre de patience ! A-t-il à pratiquer la tempérance ? Qu'il pose une pierre de tempérance ! Ainsi, de chaque vertu qui se présente, il doit mettre une pierre à son édifice, et l'élever de la sorte tout autour, avec une pierre de compassion, une pierre de retranchement de la volonté, une pierre de mansuétude, et ainsi de suite... Il doit prendre soin surtout de la constance et du courage, qui sont les pierres d'angle : ce sont elles qui rendent la construction solide, unissant les murs entre eux et les empêchant de fléchir et de se disloquer. Sans elles, on est incapable de parfaire une seule vertu. Car l'âme sans courage manque aussi de constance, et sans constance, nul ne peut rien faire de bien. Aussi le Seigneur dit-il : « Vous sauverez vos âmes par votre constance » (Lc 21, 19).
Le bâtisseur doit aussi poser chaque pierre sur du mortier, car s'il mettait les pierres les unes sur les autres sans mortier, elles se disjoindraient et la maison tomberait. Le mortier, c'est l'humilité, car il est fait avec la terre, que tous ont sous leurs pieds. Une vertu sans humilité n'est pas une vertu, et comme le dit le Géronticon : « De même qu'on ne peut construire un navire sans clous, de même il est impossible d'être sauvé sans humilité. » On doit donc, si l'on fait quelque bien, le faire humblement, pour le conserver par l'humilité. La maison doit avoir encore ce qu'on appelle des chaînages : il s'agit de la discrétion, qui consolide la maison, unit les pierres entre elles et resserre le bâtiment, tout en lui donnant beaucoup d'apparence.
Le toit, c'est la charité, qui est l'achèvement des vertus, comme le toit est l'achèvement de la maison (cf. Col. 3, 14). Après le toit, vient la balustrade de la terrasse. Quelle est cette balustrade ? Il est écrit dans la Loi : « Quand vous bâtirez une maison et que vous y ferez un toit en terrasse, entourez-le d'une balustrade, pour que vos petits enfants ne tombent pas de ce toit » (Deut. 22, 8). La balustrade, c'est l'humilité, couronne et gardienne de toutes les vertus. De même que chaque vertu doit être accompagnée d'humilité, comme chaque pierre, nous l'avons dit, est posée sur du mortier, de même la perfection de la vertu a encore besoin de l'humilité et c'est en progressant par elle que les saints arrivent naturellement à l'humilité. Je vous le dis toujours, « plus on s'approche de Dieu, plus on se voit pécheur ».
Mais que sont ces petits enfants dont la Loi dit : « pour qu'ils ne tombent pas du toit » ? Ce sont les pensées qui naissent dans l'âme : il faut les garder par l'humilité pour qu'elles ne tombent pas du toit, c'est-à-dire de la perfection des vertus.
Voilà donc la maison terminée. Elle a ses chaînages, elle a son toit, et voici enfin la balustrade. Bref, la maison est achevée. Ne lui manque-t-il plus rien? Si. Nous avons omis une chose. Laquelle? Que le bâtisseur soit habile. Sinon sa construction est un peu de travers et un beau jour, la voilà par terre. Le bâtisseur habile, c'est celui qui agit « avec science ». On peut en effet se livrer au labeur de la vertu, mais parce qu'on ne le fait pas avec science, on perd sa peine et on reste dans l'incohérence, sans réussir à terminer son ouvrage ; on pose une pierre et on l'enlève. Il arrive aussi qu'on en pose une et qu'on en enlève deux ! Par exemple, un frère vient te dire un mot désagréable ou blessant. Tu gardes le silence et tu fais une métanie : tu as posé une pierre. Après quoi, tu t'en vas dire à un autre frère : « Un tel m'a outragé, il m'a dit ceci et cela. Non seulement je n'ai rien dit, mais je lui ai fait une métanie. » Voilà, tu avais mis une pierre, tu en enlèves deux. On peut aussi faire une métanie dans le désir d'être loué, l'humilité se trouvant unie à la vaine gloire. C'est mettre une pierre et l'enlever. Celui qui fait une métanie avec science, se persuade réellement d'avoir commis une faute, il est convaincu d'être lui-même la cause du mal. C'est cela  faire  une  métanie  avec  science.   Un  autre pratique le silence, mais non avec science, car il croit faire acte de vertu. Celui-là ne fait rien du tout. Qui se tait avec science, se juge indigne de parler, comme le disent les  Pères,  et tel  est le silence pratiqué avec science. Un autre encore n'a pas une trop haute opinion de lui-même et il croit qu'il fait quelque chose de grand, qu'il s'humilie : il ne sait pas qu'il ne fait rien, puisqu'il n'agit pas avec science. N'avoir pas trop haute opinion de soi avec science, c'est se tenir pour rien et indigne d'être compté parmi les hommes, comme l'abbé Moïse qui se disait à lui-même : « Sale nègre, tu n'es pas un homme et tu viens parmi les hommes ? »
Autre exemple : Quelqu'un sert un malade, mais en vue d'une récompense. Cela non plus n'est pas agir avec science. Que lui survienne un désagrément, il renonce aussitôt à sa bonne œuvre et ne peut la mener à bien, parce qu'il ne l'accomplissait pas avec science. Au contraire, celui qui sert un malade avec science, le fait pour acquérir de la compassion et des entrailles de miséricorde. S'il a une telle intention, l'épreuve peut lui venir du dehors, le malade même peut s'impatienter contre lui, il le supporte sans trouble, attentif à son but et sachant que le malade lui fait plus de bien qu'il n'en fait lui-même au malade. Car, croyez-moi, quiconque sert un malade avec science, est soulagé des passions et des tentations. J'ai connu un frère tourmenté d'un désir honteux, qui en fut délivré pour avoir servi avec science un malade atteint de dysenterie. Evagre aussi raconte qu'un frère troublé par des illusions nocturnes, en fut délivré par un grand vieillard qui lui prescrivit le service des malades joint au jeûne. A ce frère qui lui en demandait la raison, il répondit : « Rien n'éteint de telles passions comme la miséricorde. » Celui qui se livre à l'ascèse par vaine gloire, ou en s'imaginant qu'il pratique la vertu, ne le fait pas non plus avec science. De là vient qu'il se met à mépriser son frère, en se croyant lui-même quelque chose. Non seulement il pose une pierre et en enlève deux, mais en jugeant le prochain, il risque de faire tomber le mur tout entier. Celui qui se mortifie avec science, ne se tient pas pour vertueux et ne veut pas être loué comme un ascète, mais par la mortification, il espère obtenir la tempérance, et par celle-ci atteindre l'humilité. Car, selon les Pères, « la voie de l'humilité, ce sont les labeurs corporels accomplis avec science », etc. En un mot, on doit exercer chaque vertu, de manière à l'acquérir et à la transformer en habitude. Alors on est, comme nous l'avons dit, un bon et habile bâtisseur, capable de construire solidement sa maison.
Celui qui veut parvenir avec l'aide de Dieu à cet état de perfection, ne doit pas dire : « Les vertus sont élevées ; je ne puis les atteindre. » Ce serait là parler en homme qui n'espère pas dans le secours de Dieu ou qui manque d'empressement à faire le moindre bien. Examinons la vertu que vous voulez, et vous verrez qu'il dépend de nous de réussir, si nous le voulons. Ainsi l'Écriture dit : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lev. 19, 18). Ne regarde pas combien tu es éloigné de cette vertu, ne te mets pas à craindre et à dire : « Comment puis-je aimer le prochain comme moi-même ? Comment puis-je me soucier de ses peines comme des miennes, surtout celles qui sont cachées dans son cœur et que je ne vois ni ne connais comme les miennes ? » N'entretiens pas de telles pensées et n'imagine pas que la vertu soit difficile outre mesure. Commence toujours par te mettre à l'œuvre, en faisant confiance à Dieu. Montre-lui ton désir et ta bonne volonté, et tu verras le secours qu'il t'accordera pour réussir.
Une comparaison : Suppose deux échelles, l'une dressée vers le ciel, l'autre descendant aux enfers. Toi, tu es sur la terre, entre ces deux échelles. Ne va pas te dire : « Comment pourrais-je m'envoler de la terre et me trouver d'un seul coup au sommet de l'échelle ? » Cela n'est pas possible, et Dieu ne te le demande pas. Mais prends garde au moins de ne pas descendre : ne fais pas de mal au prochain, ne le blesse pas, ne médis pas de lui, ne l'outrage pas, ne le méprise pas. Puis mets-toi à faire un peu de bien en réconfortant ton frère d'une parole, en lui témoignant de la compassion, en lui donnant une chose dont il a besoin. Et ainsi, échelon par échelon, tu parviendras, avec l'aide de Dieu, au sommet de l'échelle. Car c'est à force d'aider ton prochain, que tu en viendras aussi à vouloir son profit et son avantage comme le tien, et c'est cela « aimer son prochain comme soi-même ». Si nous cherchons, nous trouverons ; et si nous demandons à Dieu il nous éclairera. Car le Seigneur dit dans l'Évangile : « Demandez, et l'on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l'on vous ouvrira » (Matth. 7, 7 ; Lc 11, 9). Il dit « demandez », pour que nous implorions par la prière. « Chercher », c'est examiner comment vient cette vertu, ce qui nous l'apporte, ce que nous devons faire pour l'acquérir. Faire chaque jour cet examen, réalise le « Cherchez et vous trouverez ». « Frapper », c'est accomplir les commandements, car on frappe avec les mains, et les mains signifient la pratique.
Nous devons donc non seulement demander, mais chercher et pratiquer, nous efforçant d'être, comme dit l'Apôtre, « prêts à toute œuvre bonne » (II Tim. 3, 17). Qu'est-ce à dire? Si quelqu'un veut construire un navire, il prépare d'abord tout ce dont il a besoin, jusqu'aux moindres morceaux de bois, jusqu'à la poix et l'étoupe. Ou encore, si une femme veut dresser un métier, elle prépare jusqu'à la moindre aiguille et jusqu'au moindre fil. Avoir ainsi préparé tout le nécessaire pour quelque chose, c'est ce qui s'appelle « être prêt ».
Soyons donc, nous aussi, « prêts à toute œuvre bonne », entièrement disposés à accomplir la volonté de Dieu avec science, comme il le veut et selon son bon plaisir. L'Apôtre dit : « Ce que Dieu veut de bon, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait » (Rom, 12,2). Qu'entend-il parla ?
Tout arrive, soit par la permission de Dieu, soit par son bon plaisir, comme il est dit par le Prophète : « C'est moi le Seigneur, qui fais la lumière et qui crée les ténèbres » (Is. 45, 7). Et encore : « Il n'est pas de mal dans la ville que le Seigneur n'ait fait » (Amos 3, 6). Par « mal », il entend tous les malheurs, c'est-à-dire les épreuves qui surviennent pour notre correction, à cause de notre malice : famine, peste, sécheresse, maladies, guerres. Ces maux n'arrivent pas en vertu du bon plaisir de Dieu, mais de sa permission ; il permet qu'ils nous soient infligés pour notre avantage. Dieu ne veut donc pas que nous les voulions, ni que nous y donnions notre concours. Si, par exemple, la volonté de Dieu permet la destruction d'une ville, il ne veut pas pour autant que nous allions y mettre le feu et l'incendier, ou prendre des haches et la démolir. Et si Dieu permet qu'un frère soit affligé ou tombe malade, il ne veut pas pour autant que nous l'affligions nous-mêmes ou que nous disions : « Puisque c'est la volonté de Dieu que ce frère soit malade, n'exerçons pas la miséricorde à son égard. » Dieu ne veut pas cela, il ne veut pas que nous coopérions à sa volonté, quand elle est de cette sorte. Ainsi nous veut-il bons lorsque ce qu'il fait, lui, il ne veut pas que nous le voulions. A quoi veut-il donc que se porte notre volonté ? A ce qu'il veut de bon, à ce qui est, comme je l'ai dit, selon son bon vouloir, c'est-à-dire à tout ce qui est l'objet d'un précepte : s'aimer les uns les autres, être compatissant, faire l'aumône, etc. Tel est « ce que Dieu veut de bon ».
Que faut-il entendre ensuite par « ce qui lui est agréable » ? Même en accomplissant une bonne action, on ne fait pas nécessairement ce qui est agréable (à Dieu). Je m'explique. Voici par exemple un homme qui rencontre une orpheline pauvre et jolie. Il est charmé par sa beauté, il la recueille et l'élève en orpheline qu'elle est. C'est bien là ce que Dieu veut, et quelque chose de bon, mais non pas « ce qui lui est agréable ». « Ce qui est agréable à Dieu », c'est l'aumône faite, non dans une pensée humaine, mais à cause du bien lui-même et par compassion. Voilà « ce qui est agréable à Dieu ».
Enfin « ce qui est parfait », c'est l'aumône faite sans parcimonie, sans lenteur ni froideur, mais de tout son pouvoir et de tout son cœur. C'est donner comme si on recevait soi-même, c'est être bienfaiteur comme si on était soi-même l'obligé. Voilà « ce qui est parfait ». C'est ainsi que l'on fait, comme dit l'Apôtre, « ce que Dieu veut de bon, ce qui lui est agréable, ce qui est parfait ». Et c'est cela agir avec science.
Car on doit connaître le bien de l'aumône et sa vertu ; elle est grande, elle a même le pouvoir d'enlever les péchés, selon la parole du Prophète : « La rançon de l'homme, c'est sa propre richesse » (Prov. 13, 8). Et ailleurs : « Rachète tes péchés par des aumônes » (Dan. 4, 24). Le Seigneur lui-même a dit : « Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste est miséricordieux » (Lc 6, 36). Il n'a pas dit : « Jeûnez, comme jeûne votre Père céleste », ni : « Soyez pauvres, comme votre Père céleste est pauvre », mais : « Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste est miséricordieux. » Car c'est spécialement cette vertu qui imite Dieu ; elle est le propre de Dieu. Il faut donc, comme nous le disions, avoir toujours les yeux fixés sur ce but et faire l'aumône avec science. Il existe en effet une grande variété de motifs dans la pratique de l'aumône. Celui-ci la fait pour que son champ soit béni, et Dieu bénit son champ ; celui-là pour le salut de son navire, et Dieu sauve son navire ; tel autre à cause de ses enfants, et Dieu les protège ; un autre encore pour être honoré, et Dieu lui procure l'honneur. Dieu ne repousse personne et donne à chacun ce qu'il veut, pourvu que cela ne nuise pas à son âme. Mais tous ceux-là ont reçu leur récompense ; ils ne se sont rien réservé auprès de Dieu, puisque le but qu'ils se proposaient, n'était pas le profit de l'âme. Tu as fait l'aumône pour que ton champ soit béni? Dieu l'a béni. Tu as fait l'aumône à cause de tes enfants ? Dieu les a gardés. Tu as fait l'aumône pour être honoré ? Dieu t'a donné l'honneur. Que te doit donc le Seigneur ? Il t'a donné le salaire pour lequel tu as agi.
Un autre fait l'aumône pour être préservé du châtiment à venir. Celui-là agit pour son âme. Il agit selon Dieu, mais non comme Dieu le veut, car il est encore dans la condition servile : l'esclave, en effet, ne fait pas la volonté de son maître volontairement, mais parce qu'il craint d'être châtié. Celui-là de même fait l'aumône pour être préservé du châtiment, et Dieu l'en préserve. Un autre fait l'aumône pour recevoir une récompense. C'est mieux, mais ce n'est pas non plus comme Dieu veut ; celui-là n'est pas encore dans la disposition du fils. Comme le mercenaire qui n'accomplit la volonté de son maître que pour gagner son salaire, lui aussi agit pour une rémunération.
Il y a en effet trois dispositions, dans lesquelles nous pouvons faire le bien, selon saint Basile. Je sais vous l'avoir déjà dit. Ou nous le faisons dans la crainte du châtiment, et nous sommes dans l'état de servitude. Ou nous le faisons en vue de la récompense, et nous sommes dans la disposition du mercenaire. Ou enfin nous le faisons à cause du bien lui-même, et nous sommes alors dans la disposition du fils. Car le fils ne fait pas la volonté de son père par crainte, ni dans le désir de recevoir de lui une rémunération, mais parce qu'il le veut servir, honorer et contenter. C'est ainsi que nous devons faire l'aumône : en vue du bien lui-même, ayant compassion les uns des autres comme de nos propres membres, obligeant les autres comme si nous étions leurs obligés, donnant comme si nous-mêmes recevions. Telle est l'aumône faite avec science, et c'est ainsi, disions-nous, que nous nous trouverons dans la disposition du fils.
Personne ne peut dire : « Je suis pauvre et je n'ai pas de quoi faire l'aumône. » Car si tu ne peux donner comme ces riches qui jetaient leurs dons dans le trésor (cf. Mc 12, 41 ; Lc 21, 3), donne deux liards, comme la pauvre veuve. Dieu les recevra de toi plus volontiers que les dons des riches. N'as-tu même pas ces deux liards? Tu as du moins de la force et tu peux exercer la miséricorde en servant ton frère malade. Si tu ne peux faire cela non plus, il t'est possible d'adresser à ton frère un mot de réconfort. Fais-lui donc la charité par la parole, et écoute celui qui dit : « Une parole est un bien supérieur au don » (Sag. Sir. 18, 16). A supposer que tu ne puisses même pas lui faire l'aumône d'une parole, tu peux, lorsque ton frère est irrité contre toi, avoir pitié de lui et le supporter durant sa colère, le voyant tourmenté par l'ennemi commun, et, au lieu de lui dire un mot qui l'excitera davantage, tu peux garder le silence et exercer la miséricorde à l'égard de son âme, en l'arrachant à l'ennemi. Tu peux encore, si ton frère a péché contre toi, lui faire miséricorde et lui pardonner sa faute, afin d'obtenir toi-même le pardon de Dieu. Car il est dit : « Pardonnez et il vous sera pardonné » (Lc 6, 37). Ainsi tu exerces la charité envers l'âme de ton frère, en lui pardonnant les fautes qu'il a commises contre toi. Dieu en effet nous a donné le pouvoir, si nous le voulons, de nous pardonner nos péchés les uns aux autres. N'ayant pas de quoi exercer la miséricorde envers le corps de ton frère, tu le fais à l'égard de son âme. Et quelle plus grande miséricorde que celle-là ? De même en effet que l'âme est plus précieuse que le corps, de même la miséricorde envers l'âme est supérieure à la miséricorde envers le corps. Il n'est donc personne qui puisse dire : « Je n'ai pas la possibilité de pratiquer la miséricorde. » Chacun le peut selon ses moyens et sa  condition,  pourvu  qu'il  prenne  soin  d'accomplir avec science ce qu'il fait de bien, comme nous l'avons expliqué à propos de chaque vertu. Celui qui agit avec science, avons-nous dit, est le bâtisseur expérimenté et habile   qui   construit   solidement   sa   maison,   et   dont l'Évangile dit : « L'homme avisé bâtit sa maison sur le roc » (Matth. 7, 24), et rien ne peut l'ébranler.
Que le Dieu de bonté nous donne d'entendre et de pratiquer ce que nous entendons, pour que ces paroles ne soient pas notre condamnation au jour du jugement. Qu'à lui soit la gloire dans les siècles ! Amen.


  XV. DES SAINTS JEÛNES

Dans la Loi, Dieu avait prescrit aux fils d'Israël d'offrir   chaque   année   la   dîme   de   tous   leurs   biens (cf. Nombr. 18).   Ce faisant, ils étaient bénis en toutes leurs œuvres. Les saints Apôtres, qui le savaient, décidèrent, pour procurer à nos âmes un secours bienfaisant, de  nous transmettre ce précepte sous une forme plus excellente et plus élevée, à savoir l'offrande de la dîme des jours mêmes de notre vie, autrement dit leur consécration à Dieu, afin d'être, nous aussi, bénis dans nos œuvres et d'expier chaque année les fautes de l'année entière. Ayant fait le calcul, ils sanctifièrent pour nous, parmi les trois cent soixante-cinq jours de l'année, les sept semaines de jeûne. Car ils n'assignèrent au jeûne que sept semaines. Ce sont les Pères qui, par la suite, convinrent d'ajouter une autre semaine,  à la fois pour exercer à l'avance et comme pour disposer ceux qui vont se livrer au labeur du jeûne, et pour honorer ces jeûnes par le chiffre de la sainte Quarantaine que Notre Seigneur passa lui-même dans le jeûne. Car les huit semaines font quarante jours si l’on en retire les samedis et les dimanches, sans tenir compte di jeûne privilégié du Samedi Saint qui est sacré entre tous et l’unique jeûne du samedi dans l’année. Mais les 7 semaines sans les samedis et les dimanches font 35 jours. En y ajoutant le jeûne du Samedi-Saint et de la moitié constituée par la nuit glorieuse et lumineuse, on obtient trente-six jours et demi, ce qui est très exactement la dixième partie des trois cent soixante-cinq jours de l'année. Car le dixième de trois cents, c'est trente ; le dixième de soixante, six ; et le dixième de cinq, un demi : ce qui fait trente-six jours et demi, comme nous le disions. C'est, pour ainsi dire, la dîme de toute l'année que les saints Apôtres ont consacrée à la pénitence, pour purifier les fautes de l'année entière.
Heureux donc, frères, celui qui, en ces jours saints, se garde bien, et comme il convient ; car s'il lui est arrivé, comme homme, de pécher par faiblesse ou par négligence, Dieu a précisément donné ces saints jours, pour qu'en s'occupant soigneusement de son âme avec vigilance et humilité, et en faisant pénitence pendant cette période, il soit purifié des péchés de toute l'année. Alors son âme est soulagée de son fardeau, il s'approche avec pureté du saint jour de la Résurrection, et, devenu un homme nouveau par la pénitence de ces saints jeûnes, il participe aux saints Mystères sans encourir de condamnation, il demeure dans la joie et l'allégresse spirituelle, célébrant avec Dieu toute la cinquantaine de la sainte Pâque, qui est, a-t-on dit, « la résurrection de l'âme », et c'est pour le marquer, que nous ne fléchissons pas le genou à l'église durant tout le temps pascal.
Quiconque veut être purifié des péchés de toute l'année au moyen de ces jours, doit d'abord se garder de l'indiscrétion dans la nourriture, car, selon les Pères, l'indiscrétion dans la nourriture engendre tout mal en l'homme. Il doit aussi prendre soin de ne pas rompre le jeûne sans une grande nécessité, ni de rechercher les mets agréables, ni de s'alourdir d'un excès d'aliments ou de boissons. Il y a en effet deux sortes de gourmandise. On peut être tenté sur la délicatesse de la nourriture; on ne veut pas nécessairement manger beaucoup, mais on désire les mets savoureux. Quand un tel gourmand mange un aliment qui lui plaît, il est tellement dominé par son plaisir, qu'il le garde longtemps dans la bouche, le mâchant tant et plus et ne l'avalant qu'à contrecœur à cause de la volupté qu'il éprouve. C'est ce qu'on appelle la « laimargie » ou « friandise ». Un autre est tenté sur la quantité ; il ne désire pas les mets agréables et ne se préoccupe pas de leur saveur. Qu'ils soient bons ou mauvais, il n'a d'autre désir que de manger. Quels que soient les aliments, son unique souci est de se remplir le ventre. C'est ce qu'on appelle la « gastrimargie » ou gloutonnerie. Je vais vous dire la raison de ces noms. Margainein signifie chez les auteurs païens « être hors de soi », et l'insensé est appelé margos. Quand arrive à quelqu'un cette maladie et cette folie de vouloir se remplir le ventre, on l'appelle gasirimargia c'est-à-dire « folie du ventre ». Quand il s'agit seulement du plaisir de la bouche, on l'appelle laimargia c'est-à-dire « folie de la bouche ».
Celui qui veut être purifié de ses péchés doit, en toute circonspection, fuir ces dérèglements, car ils ne viennent pas d'un besoin du corps, mais de la passion, et ils deviennent péché, si on les tolère en soi. Dans l'usage légitime du mariage et dans la fornication, l'acte est le même, c'est l'intention qui fait la différence : dans le premier cas, on s'unit pour avoir des enfants, dans le second, pour satisfaire sa volupté. De même, dans l'usage de la nourriture, c'est une même action de manger par besoin et de manger par plaisir, mais le péché est dans l'intention. Il mange par besoin celui qui, s'étant fixé une ration journalière, la diminue, si, par l'alourdissement qu'elle lui cause, il se rend compte qu'il faut en retrancher quelque chose. Si au contraire cette ration, loin de l'alourdir, ne soutient pas son corps et doit être légèrement augmentée, il y ajoute un petit supplément. De cette manière, il évalue justement ses besoins et se conforme ensuite à ce qui a été fixé, non pour le plaisir, mais dans le but de maintenir la force de son corps. Cette nourriture, il faut aussi la prendre avec action de grâces, en se jugeant dans son cœur indigne d'un tel secours ; et si certains, par suite sans doute d'un besoin ou de quelque nécessité, sont l'objet de soins particuliers, on ne doit pas y prêter attention, ni rechercher soi-même du bien-être, ou seulement penser que le bien-être est inoffensif pour l'âme.
Lorsque j'étais au monastère (de l'abbé Séridos), j'allai voir un jour l'un des vieillards — car il y avait là beaucoup de grands vieillards. Je trouvai le frère chargé de le servir mangeant avec lui, et je lui dis à part : « Tu sais, frère, ces vieillards que tu vois manger et qui ont apparemment un peu de soulagement, sont comme des hommes qui ont acquis une bourse et n'ont cessé de travailler et de mettre (de l'argent) dans cette bourse, jusqu'à ce qu'elle fût pleine. Après l'avoir scellée, ils ont continué à travailler et se sont amassés encore mille autres pièces, pour avoir de quoi dépenser en cas de nécessité, tout en gardant ce qui se trouve dans la bourse. Ainsi ces vieillards n'ont pas cessé de travailler et de s'amasser des trésors. Après les avoir scellés, ils ont continué à gagner quelques ressources, dont ils pourront se défaire au moment de la maladie ou de la vieillesse, tout en gardant leurs trésors. Mais nous, nous n'avons même pas encore gagné la bourse ; comment ferons-nous donc nos dépenses ? » C'est pourquoi nous devons, je l'ai dit, même si nous prenons par besoin, nous juger indignes de tout soulagement, indignes même de la vie monastique, et prendre non sans crainte ce nécessaire. Et de la sorte, ce ne sera pas pour nous un motif de condamnation.
Voilà pour la tempérance du ventre. Mais nous ne devons pas seulement surveiller notre régime alimentaire, il faut éviter pareillement tout autre péché et jeûner aussi bien de la langue que du ventre, en nous abstenant de la médisance, du mensonge, du bavardage, des injures, de la colère, en un mot de toute faute qui se commet par la langue. Il nous faut également pratiquer le jeûne des yeux, en ne regardant pas de choses vaines, en évitant la parrhesia de la vue, en ne dévisageant personne impudemment. Il faut interdire de même aux mains et aux pieds toute action mauvaise. Pratiquant ainsi un jeûne agréable (à Dieu), comme dit saint Basile, en nous abstenant de tout le mal qui se commet par chacun de nos sens, nous approcherons du saint jour de la Résurrection, renouvelés, purifiés et dignes de participer aux saints Mystères, comme nous l'avons dit déjà. Nous sortirons d'abord à la rencontre de Nôtre Seigneur et nous l'accueillerons avec des palmes et des rameaux d'olivier, tandis qu'assis sur un ânon, il fera son entrée dans la cité sainte (cf. Mc 11, 1-8 ; Jn 12, 13).
« Assis sur un ânon », qu'est-ce à dire ? Le Seigneur s'assied sur un ânon, afin que l'âme devenue, selon le Prophète (cf. PS. 48, 21), stupide et semblable aux animaux sans raison, soit par lui, le Verbe de Dieu, convertie et soumise à sa divinité. Et que signifie « aller à sa rencontre avec des palmes et des rameaux d'olivier » ? Lorsque quelqu'un est allé guerroyer contre son ennemi et revient victorieux, tous les siens vont à sa rencontre avec des palmes (pour l'accueillir) en vainqueur. La palme est en effet symbole de victoire. D'autre part, quand quelqu'un subit une injustice et veut avoir recours à qui peut le venger, il porte des branches d'olivier, en criant pour implorer miséricorde et assistance, car les oliviers sont un symbole de miséricorde. Nous irons donc, nous aussi, à la rencontre du Christ Notre Seigneur avec des palmes, comme au-devant d'un vainqueur, puisqu'il a vaincu l'ennemi pour nous, et avec des rameaux d'olivier pour implorer sa miséricorde, afin que, comme il a vaincu pour nous, nous soyons, nous aussi, victorieux par lui en l'implorant et que nous nous trouvions arborant ses emblèmes de victoire, en l'honneur non seulement de la victoire qu'il a remportée pour nous, mais aussi de celle que nous aurons remportée par lui, grâce aux prières de tous les saints. Amen.


  XVI.   EXPLICATION  DE  QUELQUES  PAROLES DE SAINT GRÉGOIRE CHANTÉES POUR LA SAINTE PÂQUE

Volontiers, je vous dirais quelques mots sur les strophes que nous chantons, pour que vous ne soyez pas distraits par la mélodie, mais pour que votre esprit lui-même se mette d'accord avec le sens des paroles. Que venons-nous donc de chanter ?
« C'est le jour de la Résurrection,
« Faisons de nous-mêmes une offrande. »
Autrefois, dans leurs fêtes ou leurs assemblées, les fils d'Israël présentaient des dons au Seigneur, selon la Loi : sacrifices, holocaustes, offrandes de prémices, etc. Saint Grégoire nous exhorte à faire, comme eux, une fête au Seigneur ; il nous y invite en disant :
« C'est le jour de la Résurrection »,
autrement dit, c'est le jour de la fête sainte, c'est le jour de la divine assemblée, c'est le jour de la Pâque du Christ. Qu'est-ce que la Pâque du Christ ? Les fils d'Israël accomplirent la Pâque, le « passage », quand ils sortirent d'Egypte, mais maintenant la Pâque que saint Grégoire nous demande de célébrer, c'est celle que réalise l'âme qui sort de l'Egypte spirituelle c'est-à-dire du péché. Quand elle passe en effet du péché à la vertu, elle accomplit le « passage » en l'honneur du Seigneur, selon le mot d'Évagre : « La Pâque du Seigneur, c'est la sortie du mal. »
C'est donc aujourd'hui la Pâque du Seigneur, jour de fête resplendissante, c'est le jour de la Résurrection du Christ, qui a cloué le péché à la croix, qui est mort pour nous et qui est ressuscité. Apportons, nous aussi, des dons au Seigneur, offrons sacrifices et holocaustes, non toutefois de bêtes sans raison, dont le Christ ne veut pas. Car il est écrit : « Tu n'as voulu ni sacrifice ni offrande d'animaux, et tu n'as pas agréé les holocaustes de génisses et de brebis » (Héb. 10, 5-6 ; cf. PS. 39, 7). Et dans Isaïe : « Que me fait la multitude de vos sacrifices ? dit le Seigneur... » (Is. 1, 11). Mais puisque l'Agneau de Dieu a été immolé pour nous, comme le dit l'Apôtre : « Le Christ, notre Pâque, a été immolé pour nous » (I Cor. 5, 7), afin d'enlever le péché du monde, et puisqu'« il s'est fait pour nous malédiction, selon la parole : Maudit quiconque est pendu au bois, afin de nous racheter de la malédiction de la Loi » (Gal. 3, 13) et de « faire de nous des fils » (Gal. 4, 5), nous devons à notre tour lui offrir un don qui lui plaise. Mais pour plaire au Christ, quel don, quel sacrifice devons-nous lui offrir en ce jour de la Résurrection, puisqu'il ne veut pas de sacrifices d'animaux sans raison? Saint Grégoire encore nous l'apprend, car après avoir dit :
« C'est le jour de la Résurrection », il ajoute :
« Faisons de nous-mêmes une offrande. »
L'Apôtre dit pareillement : « Offrez vos corps en victime vivante, sainte, agréable à Dieu : tel est le culte que la raison demande de vous » (Rom. 12, 1).
Comment devons-nous donc offrir à Dieu nos corps en victime vivante et sainte ? En ne faisant plus « les volontés de la chair et de nos pensées » (Éphés. 2, 3), mais « en marchant selon l'esprit, sans accomplir les désirs charnels » (Gal. 5, 16). Car c'est cela « mortifier les membres terrestres » (Col. 3, 5). Et cette victime, on la dit « vivante, sainte et agréable à Dieu ». Pourquoi l'appelle-t-on « victime vivante » ? Parce que l'animal destiné au sacrifice est égorgé et meurt au même instant, tandis que les saints qui s'offrent eux-mêmes à Dieu, se sacrifient tout vivants chaque jour, comme le dit David : « Pour toi, nous sommes livrés à la mort tout le jour, assimilés à des brebis de boucherie » (Ps. 43, 22). C'est ce que dit saint Grégoire : « Faisons de nous-mêmes une offrande. »
C'est-à-dire sacrifions-nous, donnons-nous la mort tout le jour, comme tous les saints, pour le Christ notre Dieu, pour lui qui est mort pour nous. Mais comment les saints se sont-ils donné la mort ? « En n'aimant pas le monde ni ce qui est dans le monde », disent les Epîtres catholiques (I Jn 2, 15), en renonçant à « la convoitise de la chair, à la convoitise des yeux et à l'orgueil de la vie » (I Jn 2, 16), c'est-à-dire à l'amour du plaisir, à l'amour de l'argent et à la vaine gloire, en prenant la croix et en suivant le Christ (cf. Matth. 16, 24), en crucifiant le monde à eux-mêmes et en se crucifiant au monde (cf. Gal. 6, 14). A ce sujet, l'Apôtre dit : « Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises » (Gai. 5, 24). Voilà comment les saints se sont donné la mort.
Mais comment se sont-ils offerts ? En ne vivant pas pour eux-mêmes et en se soumettant aux commandements divins, en renonçant à leurs volontés pour le commandement et l'amour de Dieu et du prochain. « Voici que nous avons tout quitté et que nous t'avons suivi », disait saint Pierre (Matth. 19, 27). Qu'avait-il quitté? Il n'avait ni biens, ni richesses, ni or, ni argent. Il ne possédait que son filet, et encore était-il tout usé, remarque saint Jean Chrysostome. Mais il a renoncé, comme il le dit, à toutes ses volontés, à toute convoitise de ce monde, et il est évident que s'il avait eu richesses ou superflu, il les aurait aussi méprisés. Puis, prenant sa croix, il a suivi le Christ, selon cette parole : « Ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi » (Gal. 2, 20). Voilà comment les saints se sont offerts, mortifiant en eux-mêmes toute convoitise et toute volonté propre, et vivant pour le Christ seul et ses commandements.
De cette manière donc, nous aussi « Faisons de nous-mêmes une offrande »
comme nous y exhorte saint Grégoire. Il veut en effet que nous soyons
« La chose la plus précieuse de Dieu. »
Oui, vraiment, de toutes les créatures visibles, l'homme est la plus précieuse. Les autres, le Créateur les fit exister d'une parole : « Que cela soit ! » et cela fut. « Que la terre paraisse ! » et elle parut. Que les eaux se montrent, etc. (Cf. Gen. 1, 3, 11, 20). Mais l'homme, il le façonna et le forma de ses propres mains, il ordonna à son service et à son bonheur toutes les autres créatures, faisant de lui leur roi, et il lui procura la jouissance des délices du Paradis (cf. Gen. 2). Et, chose plus admirable encore, quand par sa propre faute l'homme fut déchu de cette condition, Dieu l'y ramena par le sang de son Fils unique. Ainsi de toutes les créatures visibles, l'homme est « pour Dieu la plus précieuse », et non seulement la plus précieuse, mais, continue saint Grégoire, « la plus proche », puisqu'il est dit : « Faisons l'homme à notre image et ressemblance » (Gen. I, 26). Et encore : « Dieu créa l'homme. Il le créa à sa propre image (Gen. 1, 27) et souffla sur son visage un souffle de vie » (Gen, 2, 7). Notre Seigneur lui-même venant chez nous, prit la nature de l'homme, une chair humaine, un esprit humain, en un mot il devint homme en tout sauf le péché, introduisant par là l'homme en sa familiarité et se l'appropriant pour ainsi dire. C'est donc très justement que saint Grégoire a dit de l'homme qu'il est « pour Dieu la chose la plus précieuse et la plus proche ».
Il ajoute ensuite plus clairement encore : « Rendons à l'image « sa qualité d'image. »
Comment cela ? Apprenons-le de l'Apôtre : « Purifions-nous, dit-il, de toute souillure de la chair et de l'esprit » (II Cor. 7,1). Rendons pure notre image, telle que nous l'avons reçue ; lavons-la de la souillure du péché, afin que sa beauté resplendisse dans les vertus. De cette beauté, David disait en sa prière : « Seigneur, dans ta faveur, tu as donné de l'éclat à ma beauté » (Ps. 29, 8). Purifions donc notre qualité d'image, car Dieu la veut de nous telle qu'il nous l'a donnée « sans tache ni ride ni rien de tel » (Éphés. 5, 27).
« Rendons à l'image sa qualité d'image. Reconnaissons notre dignité. »
Apprenons de quels biens immenses nous avons été gratifiés et à l'image de qui nous avons été créés. Ne méconnaissons pas les dons magnifiques qui nous sont venus de Dieu en vertu de sa seule bonté, et non de nos mérites. Sachons que nous sommes à l'image du Dieu qui nous a faits.
« Honorons l'archétype. »
N'insultons pas à l'image de Dieu selon laquelle nous avons été formés. Quel homme voulant peindre le portrait d'un roi oserait y mettre de la couleur défraîchie ? Ce serait mépriser le souverain et s'attirer un châtiment. Il n'emploie au contraire que des couleurs précieuses et éclatantes, vraiment dignes du portrait royal, y ajoutant même parfois des feuilles d'or. Il s'efforce d'y mettre, autant qu'il est possible, tous les ornements du roi, afin qu'en voyant ce portrait parfaitement ressemblant, on croie voir le modèle, le roi lui-même, tellement l'image est magnifique et éclatante. Nous aussi, gardons-nous de déshonorer notre archétype. Nous sommes à l'image de Dieu. Rendons notre image pure et précieuse, digne de l'archétype. Car si l'on châtie celui qui a déshonoré le portrait d'un roi, qui n'est pourtant qu'un être visible et de la même race, que ne devrons-nous pas souffrir, si nous méprisons l'image divine en nous et ne lui rendons pas sa pure qualité d'image, comme le demande saint Grégoire ? Honorons donc l'archétype.
« Sachons le sens du mystère, « et pourquoi le Christ est mort. »
Le sens du mystère de la mort du Christ, le voici : nous avions effacé par le péché notre qualité d'image, et nous nous étions ainsi donné la mort, comme dit l'Apôtre, « par nos transgressions et nos fautes » (Éphés. 2, 1). Mais Dieu qui nous avait faits à son image, fut ému de compassion pour sa créature et son image, il se fit homme à cause de nous et accepta la mort pour tous, afin de nous ramener, nous qui étions morts, à la vie dont nous étions déchus par la transgression. Lui-même, monté sur sa sainte croix et crucifiant le péché, qui nous avait valu d'être chassés du Paradis, « emmena captive la captivité », comme dit l'Écriture (Ps. 67, 19 ; Éphés. 4, 8).
« Emmena captive la captivité », qu'est-ce à dire ? Par suite de la transgression d'Adam, l'ennemi nous avait rendu captifs et nous tenait en son pouvoir. A la sortie du corps, les âmes humaines s'en allaient dès lors en enfer, puisque le Paradis était fermé. Mais le Christ, monté en haut de la croix sainte et vivifiante, nous tira par son propre sang de la captivité, à laquelle l'ennemi nous avait réduits par la transgression. En d'autres termes, il nous arracha des mains de l'ennemi et, à son tour, nous emmena pour ainsi dire en captivité, après avoir vaincu et renversé celui qui nous tenait captifs. Voilà ce que signifie « emmener captive la captivité ». Tel est « le sens du mystère » : le Christ est mort pour nous, afin de nous ramener à la vie, nous qui étions morts, comme dit le saint. Nous avons été arrachés à l'enfer par l'amour du Christ, et il est désormais en notre pouvoir de rentrer en Paradis. Car l'ennemi n'est plus notre maître et ne nous tient plus en esclavage comme auparavant.
Soyons seulement attentifs, frères, et gardons-nous d'accomplir le péché. Je vous ai dit souvent que tout péché accompli nous rend de nouveau esclaves de l'ennemi, puisque de plein gré nous nous abaissons et nous asservissons nous-mêmes. N'est-ce pas une honte et un grand malheur d'aller de nouveau nous jeter en enfer, après que le Christ nous en a délivrés par son sang et que nous avons appris tout cela ? Ne sommes-nous pas dignes d'un châtiment encore plus terrible et plus pitoyable ? Que Dieu dans son amour ait pitié de nous et nous donne d'avoir l'esprit éveillé pour comprendre et nous aider nous-mêmes, afin de trouver un peu de pitié au jour du jugement !


  XVII.  EXPLICATION  DE  QUELQUES  PAROLES DE SAINT GRÉGOIRE   CHANTÉES  POUR  LES SAINTS MARTYRS

Il est bon, frères, de chanter des extraits des saints théophores, puisqu'ils ont partout et toujours le souci de nous enseigner tout ce qui concourt à l'illumination de nos âmes. Nous y trouvons aussi l'occasion d'apprendre chaque fois par des paroles appropriées le sens même de l'anniversaire que l'on célèbre, qu'il s'agisse d'une fête du Seigneur, des saints martyrs ou des Pères, bref de n'importe quelle solennité sainte. Nous devons donc chanter avec attention et appliquer notre esprit à la signification des paroles des saints, pour que ce ne soit pas seulement la bouche qui chante, comme dit le Géronticon, mais notre cœur avec notre bouche. Nous avons appris du chant précédent, selon notre pouvoir, quelques petites choses sur la sainte Pâque. Voyons maintenant ce que saint Grégoire veut aussi nous enseigner sur les saints martyrs. Il est dit dans le psaume en leur honneur que nous venons de réciter et qui est tiré de ses discours :
« Victimes vivantes,
« Holocaustes   raisonnables », etc.
Que veut dire : « Victimes vivantes » ? « Victime », c'est tout ce qui est offert en sacrifice à Dieu, par exemple une brebis, un bœuf ou tout autre animal. Pourquoi donc saint Grégoire dit-il des saints martyrs « victimes vivantes » ? La brebis présentée pour le sacrifice est d'abord égorgée et mise à mort ; puis elle est dépecée, coupée en morceaux et offerte à Dieu. Mais les saints martyrs, c'est tout vivants qu'ils furent dépecés, écorchés, torturés, démembrés dans leur chair. Les bourreaux leur coupaient parfois les mains, les pieds, la langue, leur arrachaient les yeux, leur déchiraient les flancs au point de faire apparaître la forme et la disposition de leurs entrailles. Et tous ces tourments, les saints, dis-je, les supportèrent vivants et gardant leurs esprits : c'est pour cette raison qu'ils sont dits « victimes vivantes ».
Mais pourquoi « holocaustes raisonnables » ? Parce que l'holocauste est différent du sacrifice. On peut ne pas offrir l'animal tout entier, mais seulement ses prémices, c'est-à-dire, comme il est écrit dans la Loi, l'épaule droite, le lobe du foie, les deux reins et autres parties semblables (cf. Lev. 3, 4). Qui offre cela fait un sacrifice, une offrande de prémices. Voilà ce qu'on appelle sacrifice. Il y a holocauste, au contraire, lorsqu'on offre tout entiers la brebis, le bœuf ou n'importe quelle victime, et qu'on la brûle complètement, comme il est dit : « la tête avec les pieds et les intestins » (Lev. 8, 24; cf. 4, 11). Il arrivait même qu'on brûlât la peau et les excréments (cf. Lev. 8,17), en un mot tout, absolument tout. Voilà ce qu'on appelle holocauste. C'est ainsi que les fils d'Israël accomplissaient les sacrifices et les holocaustes selon la Loi.
Mais ces sacrifices et holocaustes étaient les symboles des âmes qui veulent être sauvées et s'offrir à Dieu. Je vais vous dire à ce sujet quelques-unes des idées qu'ont exprimées les Pères, afin qu'en les apprenant, vous éleviez un peu vos pensées et engraissiez vos âmes.
L'épaule, disent-ils, représente la vigueur, et les mains, l'action, comme nous l'avons dit une autre fois. L'épaule étant donc la force de la main, on offrait la force de la main droite, c'est-à-dire la pratique des bonnes œuvres, car la droite signifie pour les Pères le bien. Quant à toutes les autres parties dont nous avons parlé, le lobe du foie, les deux reins et leur graisse, la hanche et la graisse des cuisses, le cœur, les côtes et le reste, ce sont également des symboles. « Toutes ces choses, dit l'Apôtre, leur advinrent en figure, et elles furent écrites pour notre instruction » (I Cor. 10, 11). Je vais vous en donner l'explication. L'âme, selon saint Grégoire, est formée de trois parties ; elle comprend en effet la puissance appétitive, la puissance irascible et la puissance raisonnable. On offrait donc le lobe du foie. Or, les Pères ont vu dans le foie le siège des désirs. Le lobe étant l'extrémité supérieure du foie, on offrait ainsi symboliquement la partie la plus haute de la puissance appétitive, autrement dit ses prémices, ce qu'elle a de meilleur et de plus précieux. Cela veut dire : ne rien aimer plus que Dieu et préférer à tout autre désir le désir de Dieu, puisqu'on lui offrait, avons-nous dit, la partie la plus précieuse. Les reins et leur graisse, la hanche, la graisse des cuisses ont analogiquement la même signification, car là aussi, disent les Pères, réside le désir. Ainsi toutes ces parties sont des symboles de la puissance appétitive. Le cœur, lui, symbolise la puissance irascible, car il est, selon les Pères, le siège de la colère. Saint Basile l'exprime en disant : « La colère est l'ébullition et l'agitation du sang autour du cœur. » Les côtes, enfin, figurent la puissance raisonnable, car tel est le symbolisme que les Pères attribuent à la poitrine. C'est pour cette raison, disent-ils,  que Moïse, revêtant Aaron du vêtement du grand-prêtre, lui met sur la poitrine le rationnal, selon le précepte de Dieu  (cf. Ex. 28, 15). Toutes ces parties de la victime sont donc, comme nous l'avons dit, des symboles de l'âme qui, avec l'aide de Dieu, se purifie par la praxis et revient à son état de nature. Evagre dit en effet que l'âme raisonnable agit selon sa nature, quand sa partie appétitive désire la vertu, que sa partie irascible lutte pour l'obtenir et que sa partie raisonnable se livre à la contemplation des êtres.
Ainsi, quand les fils d'Israël offraient en sacrifice une brebis, un bœuf ou quelque autre animal, ils prélevaient ces parties de la victime et les plaçaient sur l'autel, devant le Seigneur ; c'est ce qu'on appelle un sacrifice, tandis que l'holocauste consiste à offrir la victime tout entière et à la brûler complètement. Étant, comme nous l'avons dit plus haut, intégral, définitif, complet, l'holocauste est le symbole des parfaits, de ceux qui disent : « Voici que nous avons tout quitté et que nous t'avons suivi » (Matth. 19,27). C'est à ce degré de perfection que le Seigneur invitait celui qui lui disait : « Tout cela, je l'ai observé dès ma jeunesse », car il lui répondit : « Une seule chose te manque encore. » Laquelle ? Celle-ci : « Prends ta croix et viens à ma suite » (Lc 18, 21-22 ; cf. Matth. 16, 24). C'est ainsi que les saints martyrs se sont offerts tout entiers à Dieu, offrant non seulement eux-mêmes, mais ce qui était à eux et ce qui était autour d'eux. Car, selon saint Basile, « autre est ce que nous sommes, autre ce qui est nôtre, autre ce qui est autour de nous », je vous l'ai déjà dit en une autre occasion. Ce que nous sommes, c'est l'esprit et l'âme ; ce qui est nôtre, c'est le corps ; ce qui est autour de nous, ce sont les richesses et les autres choses matérielles. Les saints se sont donc offerts à Dieu de tout leur cœur, de toute leur âme, de toutes leurs forces, selon cette parole : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit » (Matth. 22, 37). Ils méprisèrent non seulement enfants, épouses, honneur, richesses et tout le reste, mais jusqu'à leur propre corps. C'est pourquoi on les appelle « holocaustes », et « holocaustes raisonnables », parce que l'homme est un animal raisonnable, et
« victimes   parfaites   pour   Dieu ».
Puis le psaume continue :
« Brebis connaissant Dieu
« et connues de Dieu. »
« Connaissant Dieu » : comment ? Le Seigneur lui-même nous l'a montré en disant : « Mes brebis écoutent ma voix ; je connais mes brebis et elles me connaissent » (Jn 10, 27 et 14). Que veut-il dire par : « Mes brebis écoutent ma voix » ? Ceci : elles obéissent à ma parole, gardent mes commandements, et pour cette raison me connaissent ; c'est en effet par l'observation des commandements que les saints s'approchent de Dieu, et plus ils s'approchent de lui, mieux ils le connaissent et sont connus de lui. Mais puisque Dieu connaît tout, les choses cachées et mystérieuses, même celles qui ne sont pas, pourquoi saint Grégoire appelle-t-il les saints « (brebis) connues de Dieu » ? Parce que c'est en s'approchant de lui par les commandements, je l'ai dit, qu'ils connaissent Dieu et sont connus de lui. Plus en effet on se détourne et on s'éloigne de quelqu'un, plus on l'ignore, peut-on dire, et plus on est ignoré de lui. On dira de même de celui qui s'approche, qu'il connaît et qu'il est connu. C'est dans ce sens qu'on dit aussi de Dieu qu'il ignore les pécheurs, en tant que les pécheurs s'éloignent de lui. Aussi le Seigneur lui-même leur dit-il : « En vérité, je vous le dis, je ne vous connais pas » (Matth. 25, 12). Par conséquent, plus les saints acquièrent de vertus par les commandements, plus ils se rapprochent de Dieu, et plus ils se rapprochent de Dieu, mieux ils le connaissent et sont connus de lui.
« Leur bercail est inaccessible aux loups. » On appelle « bercail » un enclos, où le berger rassemble et garde ses brebis, pour qu'elles ne soient ni déchirées par les loups, ni ravies par les voleurs. Si le bercail a une brèche quelque part, il sera facile aux loups et aux voleurs d'y pénétrer pour réaliser leurs mauvais desseins. Le bercail des saints est donc assuré et gardé de toutes parts. « Là, dit le Seigneur, les voleurs ne percent ni ne dérobent » (Matth. 6, 20), et ils ne peuvent y machiner aucun autre méfait. Prions, frères, afin que nous méritions, nous aussi, de paître avec eux et de nous trouver dans le lieu de leur joie bienheureuse et de leur repos. Car, même si nous n'atteignons pas la perfection des saints et si nous ne sommes pas dignes d'être dans leur gloire, nous pouvons du moins ne pas être exclus du Paradis, à la condition d'être vigilants et de nous contraindre un peu, comme le dit saint Clément : « Si l'on n'est pas couronné, que l'on s'efforce au moins de ne pas être loin de ceux qui sont couronnés. » Dans le palais, il y a de grands et illustres fonctionnaires, par exemple les sénateurs, les patriciens, les généraux, les gouverneurs, les silentiaires. Ceux-là reçoivent de gros traitements. Mais dans le même palais, il en est d'autres qui servent pour quelques sous et on dit également d'eux qu'ils sont au service de l'empereur ; eux aussi sont à l'intérieur du palais, et s'ils n'ont pas la gloire des grands, du moins ils sont là, à l'intérieur. Il arrive d'ailleurs que, peu à peu, par avancement ils obtiennent eux-mêmes des fonctions importantes et de hautes dignités. Nous autres pareillement, évitons avec soin de commettre le péché, afin d'échapper du moins à l'enfer. De la sorte, nous pourrons même, grâce à l'amour du Christ pour nous, obtenir l'entrée du Paradis, par les prières de tous ses saints. Amen.

 

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